Lorsque l’on tend un peu l’oreille dans les tribunes de plusieurs stades de France et de Navarre, une douce musique se répète. « Les marseillais sont paranos« , « les marseillais sont avantagés« , « il y a un complot pour que Marseille soit en haut du classement » en sont les principaux couplets, souvent le fruit de supporters (voire de dirigeants) adverses dont la marseillophobie est plus forte que l’amour de leur propre club. Une statistique inquiétante devrait cependant les faire taire pour quelques temps (encore que, pour reprendre les termes de Michel Audiard, « les c…, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît »). En effet, le site officiel de l’OM nous apprend qu’aujourd’hui (après sept journées en L1 et neuf en L2), parmi les joueurs convoqués par la commission de discipline de la LFP, les deux tiers appartiennent à l’OM ou au PSG.
Comment expliquer que les deux clubs les plus médiatiques contiennent 66% des joueurs convoqués par la police de la pensée footballistique unique ? Y-trouve-ton plus de destructeurs de cheville qu’ailleurs ? Paient-ils leur surmédiatisation ? Plus généralement, est-il juste d’accorder un traitement de faveur aux clubs sans lesquels la ligue 1 serait moins attractive que la deuxième division suisse (nous adressons bien sûr nos excuses aux pensionnaires de la D2 helvète pour cette comparaison) ?
En tout état de cause, nul doute qu’à partir du jour où cet esprit si particulier à la France consistant à détruire les « gros » pour faire l’apologie des « petits » (l’onanisme médiatique des « spécialistes » du CFC autour du LOSC et de Bordeaux auparavant en étant un témoignage vibrant) sera derrière nous, le championnat de France pourra enfin songer à regarder devant lui plutôt que derrière. Le problème est que pour cela, il serait urgent d’insuffler un peu d’équité dans notre Ligue 1.
Par « équité », entendons un système où les décisions peuvent satisfaire l’intégralité des clubs. En d’autres termes, à quel moment la LFP arrivera à décider en satisfaisant simultanément Francis Decourrière et Vincent Labrune ?
Pour répondre à cette question, imaginons une expérience hypothétique et réflexive (à l’image de celle proposée par John Rawls dans les années 1970) qui consisterait à établir pour le comité de visionnage des principes de justice à partir d’une position « originelle », c’est à dire une situation imaginaire où ses membres ne connaîtraient rien de leur situation. Nous pouvons imaginer que tout ignorer devrait pouvoir leur permettre d’élever leur esprit vers une morale neutre et objective.
Sous le voile, la rationalité la plus triviale voudrait que chaque membre du comité de visionnage décide de convoquer un joueur en prenant en compte les intérêts de celui-ci (ou ceux de son entraîneur, voire de son président) comme si c’était le sien. Dès lors, nous pourrons considérer la convocation d’un joueur comme juste à partir du moment où elle sera prise de sorte que celui-ci (ou sa direction) puisse la considérer comme découlant de règles qu’il aurait pu élaborer sous le voile d’ignorance.
Prenons un exemple plus concret afin de rendre plus clair notre propos et de voir de quelle manière l’équité peut servir à améliorer le fonctionnement des instances. Nous sommes membres du comité de visionnage et nous devons convoquer des joueurs en raison de tacles assassins. Nous avons (au hasard) Zoumana Camara, Sylvain Armand, Souleymane Diawara, Nicolas Nkoulou, Gaétan Bong, David Ducourtioux et Mickaël Landreau, mais tous ne peuvent pas être appelés. Lesquels va-t-on choisir ? Si l’on décide d’aller se poser la question sous le voile d’ignorance, ce qui rendrait la convocation équitable serait qu’elle soit issue d’une procédure d’élaboration consistant à décider tel que le plus mal loti puisse considérer sa situation comme découlant de règles qu’il aurait pu élaborer sous le voile d’ignorance. En d’autres termes, si celui que nous avons décidé de convoquer arrive à se dire que c’est fait selon des règles qu’il aurait pu appuyer sous le voile, alors nous pourrons dire que notre décision était juste. Ce qu’il est important de voir dans une telle conception de l’équité, c’est le raisonnement consistant à se mettre à la place de toutes les parties avant de prendre une décision et de se demander si elle nous semble toujours juste dès lors que nous la » voyons » avec les yeux des joueurs qui en sont victimes. Cela permettrait d’éviter un acharnement sur certains clubs.
Le problème est qu’en ce moment, ce n’est absolument pas le cas, puisque la Ligue a choisi de sanctionner les plus gros (Paris et Marseille) et de fermer les yeux sur les agissements des » petits « . Que se serait-il passé si les marseillais ou les parisiens s’étaient comportés comme les lillois durant le Trophée des Champions ? Que se serait-il passé si des lensois avaient déployé une banderole insultant les parisiens ? Que se serait-il passé si Eden Hazard avait pris le micro du Stadium nord pour chambrer des adversaires ? Sans équité, nous ne le saurons jamais…