Dans cette première partie de l’entretien, il évoque notamment son rapport au football, la place de ce dernier dans la société et l’OM des années Tapie.
Son métier, le football et la société
1/ Bonjour Daniel, et merci de nous accorder du temps. Une question que l’on a dû souvent te poser, mais que je trouve importante pour nos lecteurs, d’où te vient la passion du football ?
C’est très simple, une transmission paternelle, de père en fils. Mon père regarde le foot, j’en regardais beaucoup avec lui. Tu joues dans la rue, la passion se développe par la famille, forcément quand tu viens d’un pays où ça joue beaucoup au foot et quand tu vas en vacances tous les étés en Sicile où tes cousins ne parlaient que de ça parce que c’est une vraie passion… Mais ce n’est pas tant le lieu géographique qui fait la différence, parce qu’en France cela peut être la même chose. Si tes cousins, si tout le monde aime le football, tu aimes le football.
2/ Tu as quarante-quatre ans, est-ce que ton rapport au football a évolué ces dernières années ? Par exemple, te définis-tu toujours supporter du PSG ?
Oui le rapport évolue avec l’âge. Il se détache de la passion et de l’émotion. Tu es plus dans l’analyse un peu froide, tu regardes ce qui se passe, l’évolution du jeu, ses à côté, tout cela. Je suis moins dans l’émotion brute. J’essaie plus de comprendre comment ça marche que de pousser des grands cris, d’être révolté par tel match ou telle attitude. Mais ça, c’est à force d’en parler, de regarder des matchs, d’être obligé d’être là tous les soirs, d’analyser, cela te pousse à sortir de l’émotion et de la passion.
3/ On a vécu des événements dramatiques, en France, en janvier. Penses-tu que le football ait un rôle à jouer en réponse à ceux-ci ?
Non, je pense qu’il ne faut pas sans arrêt considérer que le football doit apporter des réponses. Historiquement, il a toujours été instrumentalisé. Politiquement, on a toujours cherché à le récupérer. Tout le monde le fait en permanence et, à chaque fois, j’ai plutôt l’impression que c’est contre-bénéfique. On a par exemple essayé avec France 98. On dit que le foot ne fait jamais rien, écoute, je vois qu’à chaque match de Ligue des Champions, les mecs ont un petit patch avec écrit « respect » dessus. La FIFA et l’UEFA multiplient des campagnes contre le racisme. Il y a le fameux spot, que je trouve très beau d’ailleurs, avec tous les joueurs qui disent « non » au racisme. Le foot, c’est de la politique. Mais est-ce que cela aide à chasser tous les abrutis des stades qui font des chants ou émettent des opinions racistes ? Je n’en sais rien. Peut-être que s’il n’y avait pas ça, il y en aurait plus ? Je ne sais pas si cela fait prendre conscience aux gens. Mieux vaut ne le faire que de ne pas le faire. C’est normal, le football, c’est quelque chose d’extrêmement important, c’est un fait social, ce n’est pas uniquement un sport. Cela touche à quelque chose dans la société. Après, les événements de janvier, il y avait un message de paix, c’était le moment. Il ne s’agissait pas de soutenir un journal. Ceux qui ont pensé que les manifestations organisées par le football avaient pour but de soutenir un journal n’ont rien compris. C’était un message de paix général et l’on a quand même eu un paquet de joueurs qui n’ont pas voulu porter les signes en hommage aux victimes.
4/ Tu es le fils d’immigrés italiens. Suis-tu le championnat Serie A avec attention ? Y as-tu un club favori ?
Je le suis de moins en moins. Enfin, cela dépend des périodes. Je le suis à travers la presse italienne que je lis quasi tous les jours. Je sais donc ce qui se passe. Je suis un peu détaché. Si tu me demandes qui est le président de machin, je suis peut-être un petit peu moins calé. Je suis moins à fond dans l’actualité de ce championnat. Mais cela dépend, c’est par périodes, par vagues. Sinon, non je n’ai pas d’équipe favorite. En Sicile, ma famille est divisée entre Juventinis et Intéristes. Il n’y a pas beaucoup de Milanais. Après, je trouve que la Roma est un club marrant, qui a une vraie personnalité. À un moment les gens disaient que j’étais supporter de la Roma : non ! Je trouve que Totti est un joueur extraordinaire, phénoménal, un vrai personnage, un type à part dans le football, tout ce que tu veux, et probablement l’un des dix meilleurs joueurs de ces vingt dernières années. Mais cela n’a rien à voir. Non je ne suis pas supporter d’une équipe en Serie A.
Son rapport avec l’OM
5/ Par certains côtés, l’OM rappelle les clubs transalpins. Comment se fait-il que tu n’en sois pas devenu supporter ?
(Rires) Non, j’ai grandi à Paris, je suis parisien ! À la fin des années 80, quand l’OM montait et était à la Une de l’actualité sur TF1, dans ses campagnes européennes, j’aurais pu au moins être sympathisant OM et regarder ça avec des yeux fascinés. Le problème, c’est que je ne pouvais pas blairer Bernard Tapie. Ce n’était pas possible. À mes yeux, il représente tout ce que le football doit chasser et combattre. Tout ce qu’il a fait dans le foot est absolument dégueulasse. Moi cela m’emmerde de dire cela à des supporters de l’OM, je n’ai jamais rien eu contre ce club, même en tant que parisien. J’ai même plutôt beaucoup de respect pour la passion qu’il y a autour de lui et les gens qui vont au stade là-bas. Par exemple, en ce moment, j’aime beaucoup. Quand je regarde, j’adore ce qu’ils font. Limite, si l’OM gagne, je suis content, alors qu’en tant que journaliste, je n’ai pas à être content d’une équipe qui gagne. J’aime ce qui se passe en ce moment dans ce club. Ce n’était pas parce que c’était l’OM, cela aurait été pareil pour n’importe quel autre club qui aurait eu ce président à sa tête. Mais les seuls moments où j’ai eu de la haine pour l’OM… Tapie, il a triché, il a volé. Je m’en fous de savoir si l’OM aurait eu des chances de gagner, parce qu’il y avait une super équipe, sans tricher. Il n’empêche que ce n’est pas le cas. Et on a mille témoignages, l’histoire tout le monde la connaît aujourd’hui et tout le monde sait ce qui s’est passé. Tout est absolument terrible.
6/ Donc, la parano chez les supporters marseillais, c’est un mythe ou c’est la réalité ?
Il n’y a aucune raison d’être parano. Je peux comprendre que ce soit humiliant, presque. Il y a une période de la vie de ton club, où tu as tout dominé, sauf que pour toujours, il y aura un voile sombre dessus. Tu peux le nier ou tu peux le reconnaître. Mais cela veut dire que ton club, tu peux lui enlever des titres. C’est comme si tu lui enlevais une certaine aura. Si j’étais supporter marseillais et que j’apprenais ce qui s’est passé, celui à qui j’en voudrais réellement, c’est Tapie. Je n’en ferais pas une parano, je lui dirais : « Tu nous as floués. J’ai eu des émotions à cause de toi qui étaient fausses. » C’est absolument horrible ! C’est difficile pour un supporter de foot de se dire : « Je vais effacer mon émotion parce que je sais qu’aujourd’hui il y avait plein de triche et tout… » Non non, tu ne peux pas faire ça. Alors, tu vis avec et oui, cela peut te conduire à développer une parano et à te dire « ouais les mecs, ils nous en veulent ». Non, personne n’en veut : c’est une triste et sombre réalité. Ça s’est passé et ce type-là, pour moi, a floué les Marseillais. Il s’est foutu de leur gueule. Il est descendu, avec son oseille, il a construit une équipe, il a triché et acheté des matchs. Il n’y a pas un championnat, il n’y a pas un titre qui n’est pas entaché. Il y a des dossiers énormes qui ont été enterrés par la Ligue.