Depuis plus de 10 ans, la communication des joueurs est contrôlée, enseignée par les clubs. Ainsi on dispense aux joueurs professionnels des cours pour s’exprimer en public et dire le moins de choses possibles afin de faire plaisir au plus grand nombre. Cette nouvelle discipline s’appuie sur quelques figures de style que nous allons vous exposer.
Lorsqu’un joueur signe dans un club
Même si la communication est différente pour un joueur signe à l’OM par rapport à un qui signerait au Mans, les joueurs n’hésitent jamais à dire qu’ils arrivent « dans leur club de coeur« , que c’est « une grande fierté de signer ici » et que c’était « leur destin » (n’y allons pas par quatre chemins) de venir ici. Pourtant, la plupart du temps, les meilleurs quittent l’équipe pour un meilleur contrat quelques mois plus tard en déclarant la même chose dans une autre langue. Ribéry avait d’ailleurs réussi la prouesse de vouloir quitter Marseille pour « un club en Champions League » et atterrir au Bayern Munich qui ne la jouait pas.
Lorsqu’un joueur marque un triplé
Lorsqu’un joueur marque un triplé dans une rencontre, il ne faut absolument pas qu’il dise ce qu’il pense réellement (même si sa part d’égocentrisme le pousse à ne pas remercier d’abord celui qui lui a délivré un caviar mais d’aller seul le torse bombé face au public). Le buteur doit bien au contraire dire que cet exploit, il le doit à ses coéquipiers même s’il a fait le travail tout seul. Un mot pour son club ou son entraîneur est aussi apprécié. On apprend donc au serial buteur dès son plus jeune âge l’humilité même s’il est tout le contraire. Après tout, « l’essentiel c’est les 3 points« . Même si certains joueurs déclarent cela en coupe !
Lorsqu’un joueur veut une augmentation
Le joueur ne dira jamais qu’il souhaite être mieux payé car leurs salaires sont à des niveaux tellement indécents que cela serait mal interprété. Ainsi, il peut par l’intermédiaire de son agent affirmer que plusieurs clubs le suivent et qu’il a envie un jour de jouer « dans un grand championnat« . Une baisse de ses performances peut aussi influer sur son portefeuille. Seul Mbia sait utiliser la technique de la blessure indécelable et qui ne se soigne qu’avec une belle augmentation. Manque de chance : le camerounais est souvent blessé.
Lorsqu’un joueur commet une boulette
Les boulettes sont bien souvent l’oeuvre des défenseurs centraux ou des gardiens de but qui ont des tâches ingrates et beaucoup de responsabilités puisque leurs erreurs se payent cash. Ainsi la tête de turc de la semaine (c’est son nouveau statut pour 7 jours auprès des supporters) ne doit pas indiquer que son erreur n’est que la conséquence d’une série d’erreurs techniques, de déficit d’engagement et d’un manque de travail défensif des milieux et/ou des attaquants. Il doit juste faire voeu de pénitence et demander pardon. En retour, son entraîneur doit le lui accorder et dire qu’il est marqué mentalement par son erreur mais qu’il s’en remettra. Ses coéquipiers peuvent aussi lui apporter leur soutien s’ils sont vraiment amis.
Lorsqu’un joueur veut quitter un club
Jamais en milieu de saison, un joueur professionnel ne dit qu’il quittera son club à son terme. Le partant doit ménager les supporters même si en interne ou dans les médias, personne n’est dupe. Ainsi, on peut dire « il me reste deux ans de contrat« , « ce n’est pas à l’ordre du jour« , « je souhaite rester au club mais en football on ne sait jamais« . Les agents sont devenus des grands spécialistes du coaching du départ et ils y gagnent en général beaucoup à voir partir leur poulain.
La communication est donc de plus en plus verrouillée dans un milieu qui devient de plus en plus aseptisé. Le temps des tirades à la Cantona semble bien loin et Louis Nicollin fait figure d’extra-terrestre au milieu de ces nouveaux communicants. Les joueurs, parfois mis sur le devant de la scène très jeunes, sont donc sur-conseillé et sur-protégé pour éviter tout dérapage. A trop gommer chaque imperfection, on gomme aussi toute humanité.
L’aseptisation du tennis masculin avec le départ des Connors, Mc Enroe à la fin des années 80 a ébranlé l’engouement populaire autour de ce sport. Pas certain que l’eau tiède qu’on nous sert dans la presse sportive et à la télévision soit de nature à rendre le football plus populaire qu’il ne l’est d’autant que les frasques extra-sportives des joueurs et l’affaire Knysna ont plus qu’émoussé la passion pour ce sport en France. Alors pour ou contre le parler creux dans le foot ?