Il y a deux semaines, j’ai du m’improviser médecin généraliste pour ausculter notre équipe. On la disait malade, mais mon diagnostic fut rassurant: il ne s’agissait que d’une crise de croissance.
Aujourd’hui, si quelques tests positifs semblent conforter mes analyses, c’est un autre problème qui m’interpelle: je crois avoir décelé des troubles d’ordre psychique chez le douzième homme, qui me semble être victime de paranoïa. Mais avant d’aller plus loin, il me faut vous en décrire exactement les symptômes.
Description du syndrome.
Seul contre tous: c’est souvent ainsi que notre malade perçoit les rapports de son club au football français en général, et à ses instances dirigeantes en particulier. Chaque erreur d’arbitrage, chaque décision défavorable aux intérêts du club sont interprétées comme autant d’attaques éhontées contre l’OM. Pire, celles-ci seraient les émanations d’un complot, dont l’objectif serait de nuire systématiquement à Marseille.
Et comme qui dit complot dit comploteurs, le névrosé doit toujours mettre des visages derrière ses peurs: il y a bien entendu le Parisien haineux, l’agaçant Monégasque, mais aussi le Lyonnais arrogant ou encore le Bordelais calculateur.
Leur antipathie acharnée pour l’OM serait relayée par les instances dirigeantes du football français qui, comme notre patient semble le croire, ont pour seul et unique objectif de suspendre nos joueurs et de nous infliger des amendes. Sans oublier bien sûr les rétrogradations en D2, quitte à créer une affaire de corruption de toutes pièces, ou à fausser les comptes pour nous faire croire -quel culot!- que Tapie n’était pas un gestionnaire sage et rigoureux! Plus c’est gros, plus ça passe! doit se dire le pauvre homme, pour se conforter dans ses obsessions.
La non-affaire Drogba: une rechute pour rien.
Si la maladie n’avait pas tellement attiré mon attention jusque-là, l’affaire Drogba me fit brutalement prendre conscience de la gravité du phénomène. Pour ceux qui auraient été épargnés, je me dois de rappeler brièvement les faits: la FFF aurait voulu faire appel d’une suspension jugée trop clémente envers notre buteur fétiche, expulsé lors du déplacement à Bordeaux. Le Franco-Ivoirien fut en effet l’auteur d’un geste plus bête que méchant, qui aura cependant permis à Bruno Basto de rassurer ceux qui s’inquiétaient pour la succession de Rémy Julienne. A peine l’affaire fut révélée que notre spécimen ressortit ses couplets victimisateurs à base de Marseille contre le reste du monde ou, plus prosaïquement, de Nique la Fédé.
C’est vrai qu’une telle requête était une première, et je me suis moi-même demandé l’espace de quelques secondes si notre dénonciateur de complot professionnel n’avait pas raison pour une fois. Mais la suite des événements lui coupa le gazon sous le pied: la FFF retira son appel, et expliqua qu’il ne s’agissait que d’une procédure classique, délibérément déformée par des journalistes en manque de scandales.
Un phénomère récurrent qui résiste au bon sens.
Si aujourd’hui la crise semble être retombée, il ne fait aucun doute qu’elle se ravivera dès que l’occasion s’en présentera. La même chose arriva avec les affaires Gallardo et Barthez : le patient s’est empressé de dénoncer les « trahisons » de Deschamps et de la FFF, alors que le premier n’a pourtant fait qu’appliquer la logique cynique mais implacable du football moderne, et que le tort de la seconde est d’avoir été trop lucide pour défendre un dossier indéfendable.
Certes, il n’est pas question ici de nier que des luttes d’influence aient pu ou puissent être menées contre l’OM. Il suffit de se souvenir de l’énergie déployée par certains membres de la LFP dans le but de faire capoter le transfert de Nakata pour s’en convaincre. Mais des luttes d’intérêt ponctuelles à l’idée d’un complot il y a un pas -que dis-je un gouffre!- que seul un dérangé oserait franchir.
En effet, pourquoi tout le football français se liguerait-il contre l’OM? Pourquoi la FFF voudrait-elle détruire la plus grande réussite de l’histoire du football français? Pourquoi la LFP voudrait-elle laminer son argument marketing numéro un? Pourquoi les présidents de clubs voudraient-ils ternir l’image d’une équipe qui remplit leurs stades et leurs bourses grâce à la répartition égalitaire des droits télé? Et pourquoi Jean-Michel Aulas voudrait-il la mort d’un club qui lui rapporte 6 points par an?!? Le football français a besoin de l’OM et de sa légende, laquelle n’existe qu’à travers la passion que de nombreux Français vouent au club phocéen. Inutile donc de les opposer; au contraire, nous avons tout à gagner à prolonger une union qui s’est montrée jusque-là si féconde, n’en déplaise à notre psychotique.
Vous l’aurez compris, il est selon moi abusif, voire paradoxal, d’évoquer un quelconque complot anti-marseillais. Alors, d’où vient cette phobie, pourquoi une méfiance si maladive?
Sans doute parce que notre aliéné vit dans une ville qui est propice à ce genre de désordres. C’est une banalité, une image d’Epinal; mais quoi qu’on en dise, la passion l’emporte ici souvent sur la raison, pour le meilleur et parfois pour le pire.
La théorie du complot en est peut-être la meilleure illustration: dans son amour pour le club, le supporter olympien est total, et manque donc de recul. D’où cette propension à voir des agressions partout: il défend son club comme une mère défendrait sa fille, c’est à dire systématiquement et sans retenue. Cela fait de lui un supporter transcendant, mais aussi un paranoïaque en puissance. Mais n’est-ce pas cette folie qui fait le charme de l’OM? N’est-ce pas cette passion extrême qui explique pourquoi on aime plus l’OM quand il perd que d’autres quand ils gagnent? Autrement dit, le paranoïaque et sa passion sans borne sont-ils nécessaires à l’OM?
Toutefois, l’argument de la passion ne doit pas servir à justifier tout et son contraire. Ainsi, et même si c’est illusoire, je conclurai en émettant le souhait que mon patient, tout en restant entier dans sa passion, ne soit pas aveuglé par celle-ci. C’est un travers qu’il lui faut combattre, non pour le détruire car c’est utopique, mais pour lui faire contrepoids. Car si un excès de méfiance ponctuel n’est pas très grave, je crains qu’une paranoïa chronique ne lui perturbe irrémédiablement l’esprit.