Bienvenue en Corée
Marseille, mardi 16 Juillet 2013. Une matinée estivale comme les autres, bercée par le chant des cigales et les rumeurs du mercato. Celle du jour propulsait le savoyard Saber Khlifa comme nouveau Goléador du club Olympien, déjà le signe d’une journée qui n’était pas celle des bonnes idées du côté du centre RLD. La confirmation se fit retentissante lorsqu’un nouveau règlement intérieur atterrit dans la boîte mail des différents médias de la région.
Un règlement qui concerne les journalistes, ou plutôt, passé l’ironique » Bienvenue à toutes et à tous pour cette saison 2013-14 « , les condamne. En réalité, l’OM profite du récent caractère privé du centre Robert Louis-Dreyfus (La municipalité a vendu le terrain et ses installations à l’OM le 3 Mai 2013) pour y appliquer ses propres règles. En voici quelques extraits :
» […] Les communications, SMS, navigation internet et toutes autres utilisations des téléphones portables ou des tablettes numériques sont strictement interdites au cours des POINTS PRESSE OM. »
» L’usage d’ordinateurs portables dans la salle de conférence de presse OM n’est permis qu’à des seules fins professionnelles (rédaction de texte sur fichier word…). »
» Passé (une) période de 7 jours francs, les médias devront cesser toute diffusion et/ou retirer toute mise en ligne du PROGRAMME contenant des extraits d’un POINT PRESSE OM […] »
» Les medias accrédités doivent veiller à ce qu’aucune publicité ni aucun message promotionnel autres que les logos des médias du Club n’apparaissent […]avant, pendant, ou après le visionnage du PROGRAMME contenant des extraits d’un POINT PRESSE OM »
» Toute interview » en tête à tête » et tout reportage pourra s’effectuer en présence d’un membre du Service de Presse OM, lequel s’assurera de la bonne tenue de l’interview »
» Les noms de domaine comportant les termes « Olympique de Marseille », « OM » ou » Droit au But » […] sont interdits à l’enregistrement et à l’utilisation par les médias/journalistes. De même, les médias/journalistes doivent s’abstenir de créer des sites Internet […] contenant dans leur intitulé les signes distinctifs du Club. »
L’offensive est rude, et ce sera feu OMreplay.fr qui prendra la parole en premier pour dénoncer ces méthodes étonnantes. Six mois plus tard, ils annonçaient dans un Edito qui restera le dernier, leur retrait du paysage médiatique Olympien. OM 1 , Liberté de presse 0. Finalement, la saison reprit ses droits, le règlement vit ses angles arrondis et finit par rentrer dans les moeurs, faute de grive…
Le catalyseur Bielsa
Avril 2014. Ces derniers jours, les médias spécialistes du club provençal ont le sourire en regardant les ventes de journaux. André Villas-Boas en guise d’apéritif, Lucien Favre, Quique Sanchez Flores, et autres Allegri furent les entrées qui annonçaient le plat de résistance, et quel plat ! Marcelo Bielsa, ce personnage sanguin, frénétique et marginal, tout ce qui caractérise le club le plus détesté mais surtout le plus adoré de France. Il n’en fallait pas plus, la » Bielsa Mania » était lancée et le surnom de l’argentin, » El Loco « , raisonnait dans tous les coins du stade, de la ville, et au-delà.
Vincent Labrune lui-même vit ses vieux réflexes d’homme de médias refaire surface, s’adonnant à un jeu de chasse à l’indice avec des journalistes qui ne voulaient pas manquer un seul épisode du feuilleton.
Pour expliquer ce soudain exhibitionnisme, les romantiques aimeront à penser que notre Président s’est lui même laissé emporter par l’engouement ambiant, d’autres, plus pragmatiques, dénonceront une démagogie opportuniste destinée à calmer un public alors frondeur.
Quoi qu’il en soit, la folie Bielsa fût un catalyseur redoutablement efficace pour faire avaler la pilule d’une saison chaotique sur tous les tableaux.
Pendant un mois, les journalistes multiplièrent les articles sur l’idole de Rosario : portraits, interviews d’anciens collaborateurs, brèves, reportages, dossiers, anecdotes. Absolument tous les genres journalistiques y passèrent et cette boulimie flirtant avec l’indécence faisait penser à une séance de rattrapage de la part d’un corps de métier muselé pendant toute une saison. Finalement, l’accord est officialisé par le club, via un communiqué dont il s’est assuré la primeur sur son site officiel. Ce qui aurait pu être le début d’une période faste pour le journalisme Olympien sera en fait un cadeau empoisonné.
Bielsa, ce casanier
Pour son arrivée officielle, Bielsa n’empruntera pas une issue dérobée à l’aéroport Marseille-Provence, comme ce fût le cas lors de sa précédente venue quelques jours plus tôt. Le pôle médiatique du club semble avoir retenu la leçon d’une opération commando qui aura crée un bad buzz à l’opposé de la discrétion recherchée. Voici donc les premières images de Bielsa depuis sa signature. Des images, mais pas de son, puisque l’argentin gardera le silence face aux questions des journalistes, et ne sera pas plus bavard à son arrivée au centre RLD, saluant ses supporters d’un geste de la main avant de laisser les grilles se refermer derrière lui. Ce sera la dernière image d’El Loco retransmise par une voie autre que celle du club.
Depuis, Marcelo Bielsa enchaîne les séances d’entraînement à huis clos, avec le groupe professionnel mais aussi avec une sélection de jeunes issus de plusieurs catégories.
Ses journées commencent fréquemment dès 7 heures du matin, heure à laquelle les joueurs sont priés de venir partager le petit déjeuner, et les entraînements peuvent durer jusqu’à 22 heures, voir plus tard occasionnellement comme ces entraînements de minuit aménagés spécialement pour Romao et Mendy durant le mois de ramadan. La légende parcourt déjà les rues de Marseille : Marcelo Bielsa n’est plus jamais sorti de la Commanderie. Une rumeur pas si folle puisque, si il a été pris en photo par des fans dans les rues d’Aix-En-Provence, les images d’El Loco autres que celles relayées par OM.net se comptent sur les phalanges d’un doigt.
Un nouvel affront
6 Juillet 2014.
Cela fait maintenant près de 3 semaines que les joueurs Olympiens ont retrouvé le chemin des terrains d’entraînement, et déjà les journalistes ont abandonné tout espoir d’une séance ouverte à la presse.
Les articles se font de plus en plus acides, des critiques de la méthode Bielsa fleurissent sous couvert du très commode » témoignage anonyme » ou autres » selon un proche du club « . L’OM ne facilite pas la vie aux journalistes, ils le lui rendent bien. Ce jour-là, le service de presse de l’OM prend une décision étonnante, à mi-chemin entre une main tendu et le bras d’honneur envers le corps médiatique : La séance du mercredi 9 Juillet sera ouverte à la presse… pour 15 minutes! Cette fois encore, la nouvelle est vécue comme un affront par l’ensemble des journalistes qui ne manqueront pas de le faire savoir par le biais des réseaux sociaux.
L’absence de Bielsa durant ce quart d’heure d’exhibition confirma leur crainte : ils n’auront aucun contact avec l’argentin hormis durant les éventuelles conférences de presse, et plus aucune relation avec les joueurs si ce n’est dans les zones mixtes d’après matchs. Définitivement, ils abandonnent tout espoir d’images exclusives ou entretien et désertent la Traverse de la Martine.
Une situation perdant – perdant
Difficile d’imaginer la suite des événements : l’OM sera bien forcé de sortir de sa pudeur une fois que le championnat aura repris ses droits, pour autant, la cassure est telle entre journalistes et représentants du club qu’un simple retour à la normal parait difficilement envisageable.
Dans cette optique, qui en sortira gagnant ?
Le club
Pas franchement. Certes, OM.net fait main basse sur la totalité des images et informations exclusives, s’assurant ainsi à court terme un gain de fréquentation. Pour autant, un club vit et existe grâce à ses supporters, et conquérir un public passe inéluctablement par une importante couverture médiatique.
Les amoureux de l’OM n’abandonneront certainement pas leur club de coeur, mais s’en remettre à ses propres plateformes de communication pour conquérir les jeunes amateurs de foot semble un pari bien risqué face à l’omniprésence médiatique du PSG.
La presse
Surtout pas. S’ils jouissent pour le moment des habitudes de consommation des supporters, qui continuent de fréquenter les médias spécialisés, l’avenir paraît toutefois compliqué. A force de se voir boucher tous les canaux d’information, le contenu s’appauvrit et les journalistes deviennent de simples rédacteurs employés à faire le relai des informations diffusées sur le site officiel. Seulement, ce relai devient superflu pour la communauté grandissante des utilisateurs de twitter, qui reçoit les informations en temps réel et se questionne sur la valeur ajoutée apportée par les journalistes professionnels. Les articles de fond se raréfient, le travail d’investigation est devenu impossible, et les analyses découlent de trop peu d’information pour être complètes.
Et nous, supporters, dans tout ça ?
Nous, nous sommes les grands perdants de cette guerre froide entre club et journalistes. Nous, qui souffrons déjà depuis quelques années de voir le jeu s’appauvrir, l’ambiance se ternir et nos ambitions diminuer, nous retrouvons désormais otages d’un conflit qui n’est pas le nôtre. Pourtant, nous en subissons les conséquences.
D’un côté, nous devons supporter l’aigreur croissante des journalistes envers le club qu’ils suivent au quotidien, notre club : déstabilisations, affabulations grotesques (malaise Bielsa?), pessimisme et critique systématique envers la direction et tous ses choix. Le supporter Marseillais a la peau dure, habitué à subir l’hégémonie parisienne sur tous les programmes et médias footballistiques nationaux, habitué à constater la haine transpirer de chaque mots de spécialistes tels que Dugarry, Menes, Bravo, Simone, Riolo ou Garretier.
Seulement de temps en temps, nous aimions nous réfugier dans la subjectivité réconfortante de nos médias locaux, oui, de temps en temps, malgré son esprit critique naturel, le supporter Marseillais aime entendre que son OM est beau, que son OM est grand.
Aujourd’hui, nous en sommes privés, nos journaux régionaux ont lâché le club à tel pont qu’une fissure s’est créée entre journalistes sur la défensive et supporters olympiens lassés de cet » OM bashing « .
De l’autre côté, il y a OM.net.
Certains y trouveront leur bonheur, et l’amélioration récente de la ligne éditoriale et de la stratégie de communication vont dans ce sens. Cependant, beaucoup ne pourront se contenter du contenu proposé, reprocheront la fadeur de la plume, les prises de positions policées ainsi que l’absence totale d’analyse tactiques ou d’esprit critique.
Le média officiel de l’OM est ce qu’il est : une voie direct entre le club et ses supporters, avec ses avantages et ses inconvénients. Mais il ne peut se substituer des médias indépendants, pas plus qu’il n’en est concurrent.
Nous, supporters avides d’actualité olympienne, subissons donc les dommages collatéraux d’une guerre de posture qui ne nous concerne pas, et ne semble pas trouver d’épilogue, entre un club tendant à affirmer voir raffermir ses positions, et des journalistes qui s’enfoncent dans des considérations vindicatives. Nous, clients, consommateurs, semblons être le dernier des soucis d’entreprises lucratives qui exploitent notre passion.
Nous sommes la victime silencieuse d’un combat sans vainqueur, aujourd’hui la victime parle et vous dit : Merde !