La France et l’Angleterre, c’est une longue tradition de conflits, mais aussi une histoire footballistique récente jonchée de succès olympiens : Chelsea et Manchester hier, Liverpool il y a peu. La Pucelle est vengée, l’affront de Trafalgar lavé : on n’a jamais autant bouffé de rosbif depuis Hastings. Et les Normands n’y sont cette fois-ci pour rien ; ce sont les Provençaux qui – comme en 1792 – ont pris l’habitude de sauver la patrie. Non pas que celle-ci ait été en danger : les deux nations ont renoncé depuis belle lurette à s’envahir et à s’étriper mutuellement. Mais si la rivalité n’existe plus sous sa forme militaire, elle subsiste dans les mentalités. Les railleries culinaires d’un côté, hygiéniques de l’autre, ont remplacé les coups de fusil : nul ne s’en plaindra. Et c’est tout naturellement à travers le football – substitut contemporain à la guerre dans l’imaginaire collectif des peuples – que se poursuit aujourd’hui la Guerre de Cents Ans.
La clameur des foules a en effet remplacé le bruit du canon et le cliquetis des armes. Les uniformes se sont couverts de sponsors mais ils sont toujours là, et si les boulets sont désormais faits de cuir on continue à se les expédier gaillardement dans la tronche. Les mots sont les mêmes : c’est toujours un » capitaine » qui dirige ses troupes et un » stratège » qui les commande, on parle d’ » attaquer » l’adversaire et de se » défendre » face à ses » offensives « . Et comme jadis, les généraux, même bardés d’un survet’ ou d’une casquette, se tiennent en retrait des combats, distillant leurs directives bien à l’abri dans leurs retranchements. Nous ne serons donc pas surpris de constater que les grandes rivalités footballistiques se superposent parfaitement aux vieilles rivalités militaires : Grèce – Turquie, Angleterre – Argentine, Allemagne – Russie…
Et France – Angleterre bien sûr ! La portée symbolique des confrontations franco-britanniques n’échappe à personne. Mais si l’OM a fièrement représenté les couleurs tricolores sur le territoire national ces dernières années, il lui faudra ce soir réussir là où Napoléon lui-même a échoué : sur les champs de bataille de la perfide Albion. Un important contingent royal attend nos hommes au nord du pays. La Compagnie de Newcastle, dirigée de mains de maître par sir Bobby Robson – qui à défaut de ses quatre quartiers de noblesse a les faveurs de la Queen Mum -, compte en ses rangs des soldats d’élite : le vétéran Shearer, le dernier rempart Given ou encore le mercenaire Robert seront, en l’absence de Jenas, Dyer et Bellamy, les principales armes de destruction massive du côté anglais.
Côté français, José Anigo va selon toute vraisemblance reconduire sa formation type, celle-là même qui fait satisfaction depuis quelques temps. C’est le pragmatisme qui caractérise son action : appelé en urgence pour combler les brèches, Anigo n’a pas eu le temps de penser a priori sa stratégie, et c’est de façon totalement empirique qu’il a trouvé la bonne formule. Mais n’est-ce pas leur faculté d’adaptation qui fait les bons stratèges ? A d’autres la théorie et le concept, l’Anigo est un homme d’action, de la race de ceux qui savent prendre des décisions et qui les assument pleinement. Dernier exemple en date : le coup de poker tenté et réussi face à Lille samedi dernier, qui a rapporté les trois points de la victoire, tout en économisant des troupes qui sans fraîcheur physique sont comme des canons sans munitions. Bastiais et Bordelais s’en souviennent très bien.
C’est donc avec de nombreux atouts que les Marseillais vont aborder ce premier tour : une fraîcheur physique intacte – nous venons de le voir -, un moral gonflé à l’hélium par les succès récents et le précédent Liverpool, et enfin la présence de la quasi-totalité des titulaires potentiels, seuls Mido et sans doute Marlet manquant à l’appel. Des atouts qui rendent possibles les espoirs les plus fous : la coupe de l’UEFA tombera-t-elle enfin entre des mains françaises ? Osons le dire : au vu des dernières performances de notre OM, tout est possible. Mais attention toutefois : si les joueurs de Newcastle font moins peur que ceux de l’Inter, la motivation des premiers surpassera sans nul doute celle des seconds… Et surtout, pour la première fois depuis les huitièmes de finale, l’OM ne fera pas figure d’outsider, et aura en face de lui un adversaire qui le respectera et le prendra au sérieux.
Et s’il manquait encore un peu de motivation aux Marseillais, qu’ils se servent de la magnifique performance des Monégasques comme d’une source d’émulation. Au lieu de jalouser leur réussite, au lieu de craindre fébrilement que ces derniers ne nous privent du privilège d’être le seul club français vainqueur de la Ligue des Champions – privilège qui à vrai dire ne satisfait que les petits-bras et les faibles -, saluons leur performance. Tâchons de leur rester supérieurs, non pas en regardant vers le bas mais vers le haut : la Coupe de l’UEFA constitue à ce titre un challenge exceptionnel. A condition bien sûr de passer l’obstacle des demi-finales.
La Guerre de Cent Ans n’est donc pas tout à fait terminée. Puissent les Marseillais résister ce soir au siège en règle qui les attend, et – pourquoi pas ? – tenter une sortie pour se mettre à l’abri. Les Anglais ne disent-ils pas que » le premier coup fait la moitié du combat » ?