Mais de qui parle-t-on ? Des derniers à visiter le Vélodrome en 2004-2005, bien sûr. Des derniers également sur qui les » spécialistes » du ballon rond pariaient en début de saison – parmi les principaux prétendants – pour la conquête du titre. Des derniers, enfin, à susciter de la sympathie chez les supporters marseillais. Les premiers, par contre, à provoquer désormais la frénésie haineuse de ceux-ci…
Le supporter logiquement frustré par les déboires de l’OM a en effet besoin, pour entretenir sa flamme chancelante et ne pas sombrer dans l’ennui, d’un rival honni, méchant et détestable ; équivalent footballistique du salopard de Russkoff des films d’action américains à l’époque de la guerre froide. Jusque-là, il y avait bien le Parisien forcément violent et raciste, soutenu par des autorités nationales aveuglément acquises à sa cause. Mais ce dernier ne faisant plus guère recette – malgré les efforts répétés d’une minorité de ses supporters pour conforter ces clichés – il fallait bien trouver un successeur à ce bon vieux Parigot – qui aura quand même rendu de fiers services, avouons-le.
Qui d’autre que le nouveau riche Lyonnais pouvait reprendre ce rôle ô combien nécessaire au maintien de l’équilibre mental des plus aigris d’entre nous ? Dans leur esprit, le club rhodanien a en effet tout pour (dé-)plaire :
1. Aucune » légitimité historique « . On a oublié de prévenir les avaleurs de quenelles qu’il fallait déjà avoir gagné des titres pour avoir le droit d’en gagner d’autres » légitimement « . C’est ballot.
2. Un club et une ville » bourgeois « . Et oui, le nouveau hobby des cadres supérieurs lyonnais est d’aller s’encanailler dans les virages de Gerland, entre un apéritif au Sofitel et un gala du Rotary.
3. Un président méchant, très très méchant. Non, J-M. Aulas n’est pas un grand mécène. Non, il n’est pas un humaniste débonnaire. Non, il n’est pas non plus toujours très fair-play avec ses concurrents. Et oui, enfin, il est un apôtre du football libéral et de son abandon au Marché. Lyon a produit un Abbé Pierre, pour le deuxième il faudra encore attendre…
4. Un » triomphe sans gloire « . On reproche enfin aux Gones d’avoir acquis leurs quatre titres sans s’être vus opposer la moindre concurrence sérieuse. Or, ce sont souvent les mêmes qui critiquent l’OL pour avoir conquis ses trois premiers titres à l’arrachée… Allez demander au Réal, à Chelsea ou à la Corogne si le Monaco 2003-2004, c’était pas de la » concurrence sérieuse « .
Bref, un fatras de clichés usés et ressassés, de réprimandes grotesques et d’accusations sans fondement, dont la cohérence tient en un seul point : la jalousie. Pourquoi l’OL est-il détesté, méprisé ? Pour la même raison qui permet aujourd’hui au » rival » Parisien de goûter à un repos bien mérité : les résultats. La haine, voilà la preuve la plus éclatante de la bonne santé d’une équipe, et de la peur qu’elle inspire aux autres. Le Marseille de la grande époque a bien connu cette dialectique, club détesté car aimé, aimé car détesté.
Assez parlé de l’OL et de toutes les passions qu’il déchaîne chez ceux qui lui reprochent justement d’en manquer – ce qui n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes… Samedi soir l’OL viendra en champion, et n’aura rien à gagner sur le plan comptable. Ce n’est pas le cas de notre Olympique : s’il veut conserver la quatrième place qualificative pour l’UEFA, il devra gagner, ou au minimum prendre un point face à la meilleure équipe du championnat.
A priori, la donne paraît particulièrement déséquilibrée. D’un côté, une équipe sans rivale en France, qui s’installe durablement dans le groupe restreint des tous meilleurs clubs d’Europe, qui jouera complètement détendue, avec une motivation forcément entretenue par le désir de finir l’année en beauté et d’obtenir une victoire à forte valeur symbolique. Et d’un autre côté, une équipe phocéenne tourmentée par les soubresauts d’un secteur extra-sportif décidément instable, amputée de ses meilleurs éléments (Barthez, Pedretti et peut-être Luyindula), avec une pression énorme sur les épaules de joueurs à la solidité psychologique parfois douteuse.
Mais – glorieuse incertitude du sport ! – bien malin celui qui saura prédire le scénario du choc de la 36e journée. A l’aller, l’OM n’allait pas mieux, et l’OL, pas moins bien qu’aujourd’hui ; ce qui n’a pas empêché les Olympiens – les nôtres ! – de résister plus qu’honorablement aux agaçants premiers de la classe. L’OM, en effet, sait parfois se transcender face aux gros ; tandis que l’OL, au contraire, brille surtout par sa régularité. A l’OM de faire un gros match, donc, car il ne faudra pas compter sur les Lyonnais pour venir en touristes. Question de rivalité…
Allez l’OM, donc, pour qu’au moins le temps d’un match, les premiers soient les derniers.