Nul n’est prophète en son pays… L’épisode Anigo aura confirmé le vieil adage, après avoir fait illusion lors d’une étonnante épopée en coupe d’Europe. Depuis, le minot a déchanté, et nous avec : l’équipe composée par ses soins ne joue pas mieux au football que sa devancière, sans pour autant posséder cette capacité à se transcender lors des grands rendez-vous. Les défaites face à Paris puis le non-match à Ajaccio ont accéléré un processus déjà enclenché et ont amené le bon José à présenter sa démission – et les dirigeants à l’accepter.
Sayonara José…
Une issue inexorable
Le message, de toute évidence, ne passait plus : comment expliquer autrement la léthargie dans laquelle étaient plongés des joueurs pourtant mis au pied du mur par leur entraîneur ? Celui-ci leur avait en effet signifié qu’en cas de mauvais résultat il partirait : le déplacement calamiteux à François-Coty ne pouvait laisser d’autre alternative à Anigo que de joindre le geste à la parole. Cet OM-là est malade, ça ne fait aucun doute, et en abandonnant ses prérogatives le Marseillais s’en est lui-même attribué la responsabilité.
José seul coupable ?
Est-ce à dire pour autant que José Anigo était le seul coupable ? Certes pas. Comme certains cadres l’ont eux-mêmes affirmé, le comportement de beaucoup de joueurs est indigne de l’OM. Mais comme il est plus facile de changer un entraîneur que onze joueurs, Anigo s’est fait hara-kiri, dévoué tel un samouraï à son seigneur OM…
Car s’il est une chose qu’on ne pourra pas enlever au bonhomme, c’est bien la sincérité de son amour pour le club. Alors, en refusant les positions extrêmes qui consistent à l’idolâtrer ou à l’honnir, sachons lui rendre un hommage mesuré : à l’heure où beaucoup instrumentalisent l’OM dans leur intérêt propre, saluons l’attitude d’un homme qui n’a pas tenté de se servir de l’OM, mais plutôt de le servir.
L’héritage Anigo
La même modération doit également nous guider en ce qui concerne l’évaluation du bilan d’Anigo. Notons tout d’abord que José, quelles que soient ses qualités d’entraîneur, aura eu un mérite, énorme, oublié à Marseille depuis 1999 : nous faire rêver. L’épopée européenne de l’an passé, même si elle n’a pas totalement éclipsé une saison mi-figue mi-raisin, aura au moins eu le mérite de rappeler l’Europe au bon souvenir de l’OM, et de redonner un peu de joie et d’enthousiasme à un public phocéen largement sevré en la matière.
Le bilan en championnat est par contre beaucoup moins positif. L’an dernier, Anigo ne parvint pas à redresser la barre, et cette saison, malgré un groupe considérablement renforcé sur le papier, l’OM est assez loin de ses objectifs, et surtout pratique un jeu indigne des ambitions affichées. Mais la situation n’est pas pour autant catastrophique : l’OM ne se trouvant qu’à trois points du troisième, la crise n’est pas comptable. Elle est surtout dans les têtes, et sur le plan tactique : Anigo s’est avéré incapable de tirer le meilleur de ses joueurs. Remobiliser ces derniers, tout en mettant en place une tactique plus adaptée : telle sera la tâche de son successeur.
…Konnichiwa Philippe !
C’est cette double exigence qui a amené les dirigeants olympiens à faire appel à Philippe Troussier. Le » sorcier blanc » correspond parfaitement au profil décrit par Pape Diouf : » Il doit être en mesure de tenir un discours différent de celui de José Anigo. Un discours mobilisateur, d’abord, celui d’un homme ayant peut-être des relations plus distantes que celles que José a pu avoir avec ses joueurs […] Il faut simplement un meneur d’hommes « .
Autrement dit, il fallait un anti-Anigo pour réveiller l’OM. Et c’est justement ainsi qu’on peut définir le technicien français : tout chez lui est à l’opposé de José, qu’il s’agisse de son parcours, de sa réputation ou de son relationnel avec les joueurs.
Un entraîneur globe-trotter
Le parcours, tout d’abord. Alors que José Anigo est un pur produit de Marseille et de l’OM, totalement enraciné dans la cité phocéenne, Philippe Troussier est un globe-trotter spécialisé dans les destinations exotiques, après quelques expériences dans les divisions inférieures françaises (Alençon, Red Star, et Créteil, entre 1984 et 1989).
Ses déambulations planétaires peuvent se décomposer en deux temps :
-tout d’abord, une période africaine : entre 1989 et 1997, il entraîne les meilleurs clubs africains ; l’ASEC Abidjan (CIV), les Kaiser Chiefs (AFS), puis les deux clubs de Rabat, le Ca et le FUS (Maroc). Des expériences couronnées de succès (avec notamment trois titres de champion de Côte-d’Ivoire et une coupe du Maroc), qui lui permettent d’accéder à la direction de nombreuses sélections nationales africaines : la Côte-d’Ivoire en 1993, puis le Nigeria, le Burkina Faso et l’Afrique du Sud entre mars 1997 et août 1998.
-après cette période africaine vint une période asiatique, qui lui vaudra une renommée certaine dans le monde entier : c’est en effet lui qui, dirigeant la sélection nippone de 1998 à 2002, a permis à cette équipe de s’imposer comme la meilleure nation asiatique (Coupe d’Asie des Nations 2000), et surtout comme l’une des toutes meilleures équipes des jeunes nations du football (c’est-à-dire hors de l’Europe de l’Amérique latine). Son succès a fait de lui une véritable idole au pays du Soleil Levant, où il rivalise avec Alain Delon pour le titre de Français le plus célèbre (même des mangas lui sont consacrés…). Reste que cet épisode asiatique a été entaché d’un échec retentissant à la tête de la sélection qatari ; mais nous y reviendrons…
Des qualités reconnues
Bref, Troussier, anti-Anigo absolu en termes de parcours, l’est aussi en termes de reconnaissance. Tout d’abord, il est un entraîneur très expérimenté, ayant dirigé la bagatelle de treize équipes dans sa carrière (clubs et sélections confondus). Et, en plus des titres déjà évoqués, il possède l’avantage d’avoir participé à plusieurs phases finales de Coupe du Monde, avec l’Afrique du Sud en 1998, et le Japon en 2002.
Partout où il est passé, ses qualités ont été louées : intelligence tactique, capacité à mener un groupe, grand sérieux dans la préparation. Des qualités qui lui ont valu une certaine reconnaissance dans le football international : Philippe Troussier est ainsi régulièrement contacté par des sélections à la recherche d’un technicien, comme par exemple l’Ecosse très récemment. Une légitimité et des qualités certaines, donc, qui contrastent avec le maigre pedigree de José Anigo.
Une discipline de fer
L’asymétrie parfaite entre les deux hommes paraît encore plus claire quand on évoque la question des relations joueurs-entraîneur. José Anigo était apprécié par ses hommes, en raison de ses qualités morales et de la sympathie qu’il dégage. José Anigo est assurément quelqu’un de loyal, et il était très proche de ses joueurs. Cette proximité s’était révélée précieuse l’an passé pour redonner vie à un groupe laissé moribond par la gestion psycho-rigide de Perrin. Mais ce qui était une solution l’an dernier est devenu un problème : trop près de ses protégés, il s’est révélé incapable de leur inculquer les exigences de l’environnement marseillais. Bref, à trop protéger ses joueurs, il les a peut-être empêché de s’adapter et d’évoluer.
Ce type de problème ne risque pas d’arriver avec Troussier. L’homme est réputé dur, sévère, et parfois distant avec son groupe. C’est un entraîneur professionnel, certainement pas un confident ou un ami. Ce sont d’ailleurs ses grandes exigences disciplinaires qui ont provoqué son échec qatari, les joueurs locaux étant par exemple irrités par les régimes diététiques imposés par le Français… Mais il faut aussi rappeler le manque (ou l’absence) de professionnalisme chez les joueurs de ce pays, ce qui nous incite à comprendre et à relativiser la portée de son échec au pays de l’or noir.
Un bon choix ?
En définitive, qu’il s’agisse de son parcours, de sa réputation ou de ses méthodes, Troussier est l’anti-Anigo absolu. Ce choix indique en tout cas que nos dirigeants ont pris conscience de la nécessité d’apporter un nouveau souffle à cette équipe, et ont évité l’erreur de refaire confiance à un » minot » du cru. Non pas que ceux-ci soient forcément inférieurs aux entraîneurs venant de l’extérieur… Mais il semble que si une bonne connaissance du milieu peut s’avérer être un avantage dans certains cas, elle se transforme en inconvénient dès lors qu’il s’agit d’amener des joueurs à prendre leurs responsabilités et à s’affirmer par eux-mêmes. Troussier, c’est sûr, ne prendra pas de gant avec eux, et refusera de se sacrifier pour sur-protéger ses hommes.
Marseille avait sans doute besoin de ce genre de changement, qui quoi qu’il arrive provoquera une rupture : soit les joueurs recrutés à l’intersaison ont la carrure du très haut niveau, et la réaction sera positive ; soit ceux-ci sont encore des grands garçons et il risque de se passer la même chose qu’avec Perrin, c’est-à-dire le blocage total… Il était de toutes façons impossible de continuer éternellement ainsi : plus les matches s’enchaînaient, et moins on voyait l’horizon s’éclaircir…
Certains objecteront bien sûr que ledit Troussier, s’il est idolâtré au Japon et considéré comme un » sorcier blanc » en Afrique, n’a jamais dirigé un grand club en Europe avec ses cohortes de stars capricieuses… Mais combien d’entraîneurs en France ont participé à deux phases finales de Coupe du Monde ? Et combien de joueurs en France sont aussi capricieux et médiatiques qu’un Nakata ?
D’autres remarqueront – à juste titre – qu’en-dehors de ses quatre années passées à la tête de la sélection japonaise, Troussier n’est jamais resté longtemps au même poste. En effet, avec treize équipes en vingt ans, Troussier a réussi l’exploit de changer presque aussi souvent de club que l’OM n’a changé d’entraîneur pendant la même période ! Mais là encore, ce qui peut être un inconvénient pour un club ayant l’habitude de travailler dans la sérénité devient un avantage pour un club aussi agité que l’OM : Troussier est en quelque sorte un spécialiste des missions d’urgence, où des résultats doivent être atteints dans l’immédiat… Soit exactement ce que l’on attend d’un entraîneur à l’OM. Ce qui ne l’empêche pas par ailleurs de construire dans la durée, comme il l’a prouvé lors de ses quatre ans au Japon.
Voilà donc des raisons d’espérer : un entraîneur expérimenté, internationalement reconnu, capable d’agir dans l’urgence et dont l’esprit et les méthodes tranchent avec celles de son prédécesseur. Rien ne permet d’affirmer que la mayonnaise prendra, mais, avec un Tigana handicapé et un Bianchi peu disposé à quitter sa pampa, il est raisonnable d’estimer (à défaut d’assurer…) que le choix de Troussier était l’un des meilleurs. Réponse définitive en juin…