Quel avenir pour la Coupe de France ?

Prestige, renommée, tradition, c’est souvent en ces termes élogieux que l’on évoque la plus ancienne des compétitions nationales. Disputée pour la première fois en 1917-1918, elle reste longtemps la plus populaire des épreuves de l’hexagone. La raison principale de ce succès réside dans l’ouverture de la compétition aux clubs amateurs. Loin d’en rabaisser le niveau, […]

Prestige, renommée, tradition, c’est souvent en ces termes élogieux que l’on évoque la plus ancienne des compétitions nationales. Disputée pour la première fois en 1917-1918, elle reste longtemps la plus populaire des épreuves de l’hexagone. La raison principale de ce succès réside dans l’ouverture de la compétition aux clubs amateurs. Loin d’en rabaisser le niveau, celle-ci lui confère un caractère éminemment sympathique, voire épique, quand un Petit Poucet parvient à semer la zizanie dans l’ordre établi. Ciment du football français, elle réunit des mondes n’ayant rien en commun, des clubs les plus riches aux plus pauvres, des plus grandes villes aux plus obscures bourgades.

Mais ce tableau, me dira-t-on, est quelque peu suranné. En le dépoussiérant, on réalise vite qu’à ce brillant passé correspond un présent plutôt morose. Elle est devenue un objectif secondaire pour les grands clubs, qui n’apprécient que très modérément les déplacements à Champigny-les-Oies en 1/32e de finale. A l’autre bout de l’échelle, les exploits des petits se sont banalisés, et ne suscitent plus guère d’enthousiasme, une fois franchies les limites de la paroisse.

Ainsi, et même si c’est douloureux, le constat, évident, doit être établi : la Coupe de France n’est plus ce qu’elle était. Sans que l’on puisse parler d’un véritable déclin, elle a indéniablement perdu de son lustre, de son charme et de son prestige. Cette évolution est-elle inéluctable, ou peut-elle s’inverser ?

Les raisons d’un désengouement.

La création de la Coupe de la Ligue est sans doute la cause principale de ce moindre intérêt. Les grands clubs ont en effet tendance à privilégier celle-ci, essentiellement pour des raisons financières : la prime au vainqueur est très intéressante, et, en limitant la participation aux clubs professionnels, ceux-ci peuvent espérer remplir leur stade grâce à des affiches alléchantes. Des motivations sportives recoupent ces considérations bassement mercantiles : avec la suppression de la Coupe des Coupes, la Coupe de la Ligue offre à son vainqueur le même débouché européen que la Coupe de France.

La création de la Coupe de la Ligue participe également d’une autre évolution néfaste à la Coupe de France : la saturation des calendriers. Avec la coupe Intertoto, les poules de Ligue des Champions, l’augmentation du nombre de places attribuées en Coupe d’Europe, ou encore le stupide retour à 20 clubs de la L1, les grosses écuries ont naturellement tendance à faire l’impasse.

D’où la multiplication, jusqu’à saturation, des succès des Petits Poucets, dont l’épopée calaisienne constitue l’expression paroxystique. Ce qui était jadis extraordinaire est devenu banal : trop d’exploits tuent l’exploit, au point de se demander s’il ne s’agit pas tout simplement d’un boycott officieux de la part de certains clubs. Ce qui faisait autrefois le charme de la Coupe est devenu le symptôme de sa décadence : elle est aujourd’hui, dans une certaine mesure, une compétition de seconde zone.

Une évolution néfaste : foot-business contre logique sportive.

Le constat est difficilement contestable, quoi qu’on en dise. Certains seraient prêts à sacrifier le glorieux ancêtre sur l’autel du réalisme économique et de l’européanisation érigée en dogme. Alors que l’heure est à l’introduction des clubs en Bourse, aux pressions néo-libérales du G14, ou encore aux menaces de création d’une  » super ligue  » européenne, pourquoi s’encombrer de cette compétition vieillotte, peu ou pas rentable économiquement ?

Parce qu’aujourd’hui, la Coupe de France est le dernier rempart contre cette pieuvre tentaculaire qu’est le foot-business. La seule compétition qui n’a de raison d’être que sportive, la seule compétition où les sponsors s’effacent derrière le jeu. C’est sa force, mais aussi sa faiblesse : si le football professionnel la dénigre, c’est qu’elle ne rentre pas dans les cadres que les décideurs économiques lui ont assignés.

La seule compétition, enfin, où l’aspect sportif garde le primat sur les impératifs du spectacle. En plaçant sur le même plan professionnels et amateurs, elle permet de maintenir une connexion entre le football ultra-médiatisé de l’élite, et le joueur du dimanche. Une connexion qui permet d’éviter une rupture trop radicale entre spectateurs et acteurs. Une connexion qui permet au football de rester un sport, tout simplement.

Quelles solutions ?

Mais il ne suffit pas de se lamenter. Pour que la Coupe de France ne devienne pas un énième dommage collatéral du foot-business, il faudra être au moins aussi dynamique que l’agresseur. Et choisir entre deux stratégies :
– Soit lutter radicalement contre les dérives évoquées : supprimer la Coupe de la Ligue, restaurer la Coupe des Coupes, renoncer à l’Intertoto.
– Soit combattre le feu par le feu : réévaluer la prime au vainqueur, développer l’aspect marketing.
La voie la plus réaliste se situe sans doute entre ces deux postures extrêmes : le foot-business est trop solidement implanté pour être attaqué de front, mais, inversement, utiliser les mêmes armes que lui reviendrait à s’avouer vaincus, et à pervertir la Coupe de France en prétendant la restaurer.
Car l’enjeu dépasse ce seul trophée : c’est une certaine idée du football qu’il nous faut défendre. Et la partie n’est pas gagnée.