Le cinquième meilleur championnat du monde ; c’est en tout cas ce qu’affirme une étude récente, situant la Ligue 1 derrière le Calcio italien, la Premier League anglaise, la Liga espagnole, et – plus surprenant – le championnat argentin. Certes, on peut s’interroger sur la pertinence d’un tel classement, quand on sait que celui-ci ne situe la Bundesliga qu’en dixième position, soit derrière des championnats aussi relevés (sic) que la Colombie, le Mexique, les Pays-Bas ou le Brésil…
La France, l’Europe et le foot post-Bosman
Un championnat de premier plan ? Des lectures contradictoires.
Mais les laudateurs du championnat français rétorqueront qu’une place dans le Cinq majeur mondial n’est que justice, pour une nation ayant envoyé deux clubs en finale de Coupe d’Europe l’an dernier, et dont le principal représentant est désormais reconnu comme l’un des poids lourds de la Ligue des champions… Ce à quoi des observateurs moins enthousiastes répondront que ledit poids lourd n’a encore jamais franchi le cap des quarts de finale, et qu’aucun club hexagonal n’a plus inscrit son nom au palmarès d’un trophée européen depuis le Paris de Fernandez, il y a bientôt 10 ans. Les esprits les plus vicieux ne manqueront pas de rappeler qu’il s’agissait d’un trophée – la Coupe des Coupes – si passionnant que l’UEFA a depuis préféré le supprimer, et que l’autre finaliste était un prestigieux club autrichien – le Rapid de Vienne – dont le pedigree européen se limite à une victoire dans le championnat… allemand, en 1941. L’Anschluss aura au moins fait quelques heureux.
Accusé Bosman, levez-vous !
Reste qu’aujourd’hui en France, personne ne cracherait sur un triomphe européen, fut-il modeste. La faute à qui ? » C’est la faute à Bosman « , chanterait un Gavroche footeux, désarçonné par les dérives du foot moderne. Mais l’arrêt Bosman, et ses conséquences désastreuses sur l’intérêt du football européen – concentration des talents dans les pays les plus riches, perte d’identité des footballs nationaux – n’est qu’une composante d’un problème plus global : l’extension indéfinie de la logique libérale au sein du football. La recherche du profit et de l’efficacité économique sont de moins en moins un moyen et de plus en plus une fin. Ce sont les chaînes de télé qui font les calendriers, au déni de toute logique sportive ; quant aux joueurs, ils se muent progressivement en hommes-sandwiches, transformant, comme Beckham et Pirès, leur cuir chevelu en espace publicitaire. Enfin, les traditionnelles préparations d’avant-saison sont aujourd’hui bien désuètes, au regard de l’engouement des clubs les plus » modernes » pour de lucratives tournées en Asie.
Limites et contradictions : vers un retournement de situation ?
Reste que le système, sans véritablement s’effondrer, se mord la queue. En Italie, en Espagne, certains clubs prestigieux ne doivent leur survie qu’à des interventions politiques – pression populaire et électorale oblige. Quant à l’Angleterre, si elle est globalement en bonne santé, elle voit progressivement ses plus beaux fleurons passer sous contrôle étranger : Chelsea, endetté, à Abrahimovic, et le mythique Manchester United, à l’Américain Glazer. Enfin, l’overdose de football semble avoir franchi le seuil de tolérance dans certains pays, comme en Italie où les affluences ont baissé ces dernières saisons.
En effet, n’y a-t-il pas une certaine contradiction à appliquer au football, sport dont l’intérêt tient à une incertitude confinant parfois à l’irrationnel (cf. la finale de la Ligue des champions, OM-Montpellier en 98, Owen ballon d’or…), les règles d’un Marché friand de certitudes et de sécurité ? En effet, à part des milliardaires à la recherche d’un joujou, et de grands groupes qui ne voient dans le foot qu’une vitrine pour leurs activités rentables, il n’est plus grand monde pour investir massivement dans un véritable projet. Faut-il s’en plaindre ? Pas nécessairement.
Une Ligue 1 à nouveau compétitive ?
Le malheur des uns…
Car si les déboires économiques du football ont mis un frein à la frénésie dépensière des plus grands clubs – l’OVNI Chelsea devant être mis à part – elles ont, en écho, un effet positif pour les clubs de Ligue 1 : la fin du pillage estival de nos talents par les bourses déliées des mastodontes européens. Un Kalou, un Toulalan seraient-ils restés en France il y a quelques années ? Un joueur confirmé comme Sidney Govou serait-il resté plusieurs mois à attendre une proposition sérieuse ? Un club aux moyens modestes comme Lille serait-il alors parvenu à préserver l’intégrité de son groupe ? Certainement pas.
Au contraire, les clubs français ont cette année réussi à attirer ou rapatrier des joueurs talentueux et/ou renommés (Ribéry, Dhorasoo, Carew, Gerard…), tout en conservant leurs joueurs vedettes. Aussi doit-on conclure que ce retournement de situation – encore inachevé, certes – devrait avoir une conséquence aussi fortuite que bienheureuse : un regain de niveau et d’intérêt pour la Ligue 1. Un regain modeste, certes, et somme toute relatif, mais préférable à l’appauvrissement manifeste constaté ces dernières saisons…
Ainsi, il y a fort à parier que l’exercice 2005-2006 sera plus relevé que le précédent. Derrière Lyon, une foule d’outsiders potentiels se sont renforcés ou ont su conserver leurs éléments clés ; pour mieux cerner les enjeux de la saison à venir, procédons à une revue des forces en présence.
Lyon : franchir un nouveau cap ?
A priori, rien ne devrait empêcher les pensionnaires de Gerland de battre le record de titres consécutifs. Hormis le prometteur Bergougnoux, personne n’est parti, tandis qu’un joueur de talent est venu renforcer chaque ligne : Monsoreau étoffera la défense, Pedretti le milieu, et Carew, l’attaque. Un recrutement logique : avec ces trois arrivées, Lyon s’est doté d’un banc digne de ses ambitions – ce qui n’était pas forcément le cas l’an dernier – et tient enfin son fameux » point de fixation » en attaque, même si John Carew n’est pas exactement le tueur espéré par les Gones. Mais l’inconnue majeure tient à la principale recrue du mercato rhodanien : Gérard Houiller. Certes, l’entraîneur est peut-être un facteur moins important à Lyon qu’ailleurs, du fait de la tutelle sportive de Bernard Lacombe et de l’omniprésence médiatique de Jean-Michel Aulas. Mais par rapport à Paul Le Guen, le changement est radical : Houiller est un entraîneur réputé et expérimenté, doté d’une forte personnalité, et même si ces compétences ne sont pas en cause, sa gestion humaine, assez directive, risque de heurter des joueurs habitués à un prédécesseur calme et posé – insipide, diront ses détracteurs. Bref, une chose est sûre : Lyon va changer.
Deux scénarios sont envisageables, selon que sa crise de croissance soit féconde ou destructrice. Un optimiste : l’expérience et l’envergure de Houiller permettront à l’OL de franchir un cap en devenant pour de bon un grand d’Europe. Et un pessimiste : le changement, trop brutal, aura brisé la cohérence d’un groupe trop tendre pour le très haut niveau, tandis qu’une clause secrète du contrat de Benoît Pedretti viendra – pourquoi pas ? – ruiner les finances du club. Foot-business, quand tu nous tiens…
Les principaux poursuivants
Derrière Lyon – forcément derrière… – un certain nombre de clubs semblent en mesure de tirer leur épingle du jeu. A première vue, dans la continuité de la saison dernière, deux clubs émergent.
Tout d’abord, Monaco, qui risque fort d’être le principal obstacle à un cinquième triomphe de rang lyonnais. Tout en conservant son ossature défensive et ses talentueux attaquants, le club de la Principauté a renforcé le secteur qui lui faisait défaut : le milieu offensif. Kapo, Meriem, Maoulida et Sorlin devraient pouvoir combler les lacunes observées cette saison, tandis que l’ex-Barcelonais Gerard viendra renforcer un entrejeu déjà bien garni. SAS Albert II s’en régale d’avance. Lui attribuera-t-on la paternité d’éventuels succès ?
Placer la beaucoup moins glamour Lille parmi les principaux rivaux de Lyon peut relever de la gageure, quand on compare l’effectif nordiste aux équipes précitées. N’empêche, la plupart des joueurs qui ont fait le succès lillois l’an dernier sont encore là, les plus jeunes se sont aguerris, et surtout, Claude Puel, le principal artisan de la réussite lilloise, a résisté aux sirènes aulassiennes, confirmant sa réputation d’homme de parole. Bref, aucune raison pour que le club flanche – à moins que la Ligue des Champions ne brûle les ailes des jeunes Dogues…
Et les autres…
Derrière le trio de tête de l’an dernier, les candidats sont aussi nombreux que les places sont rares… Certains clubs pourraient jouer les trouble-fêtes : Rennes a perdu Maoulida et Sorlin, mais a récupéré Utaka et surtout conservé Frei et Monterrubio ; Lens a fait une excellente opération en acquérant Dindane ; St-Etienne, sous la coupe d’Elie Baup, devrait poursuivre sa progression, tandis que Toulouse, avec Abdessadki, Mansaré, et surtout Mathieu, Santos et Bergougnoux, a une nouvelle fois fait un recrutement ambitieux.
Par contre, l’incertitude règne concernant trois des clubs phares du football français. A Auxerre, Jacques Santini aura la lourde tâche d’assumer l’après-Guy Roux : plaident pour lui son expérience et une personnalité apparemment adaptée à son nouvel environnement (et dire qu’on avait parlé de lui à l’OM…). Paris a fait un recrutement de premier choix – avec notamment Kalou et Dhorasoo – mais le club de la Capitale s’est fait une renommée internationale dans le brisement de carrières. L’autre inconnue consiste en la capacité de Laurent Fournier à dépasser le stade du soulagement post-Vahidien, et à ne pas connaître un parcours à la Anigo…
Enfin, autre spécialiste du brisement de carrières : l’OM, qui sera sans doute l’équipe la plus imprévisible lors du prochain exercice. Un entraîneur discret mais compétent, un recrutement offensif assez judicieux laissent espérer des lendemains qui chantent. Mais à Marseille, comme souvent, un problème en chasse un autre, et l’absence d’un véritable ratisseur de ballons risque fort de contrarier les ambitions phocéennes.
Voilà donc, esquissée dans ses grandes lignes, la physionomie de la Ligue 1 version 2005-2006. Du moins telle que la logique la laisse deviner… Car cette physionomie ne manquera pas d’être chamboulée au cours de la saison, par des déceptions et des surprises qu’aucun esprit, même avisé, ne saurait prévoir. Glorieuse incertitude du sport…
Mais au-delà des rivalités internes, un fait s’impose : la Ligue 1, pour la première fois depuis longtemps, a échappé au pillage, et s’est même légèrement renforcée. De quoi espérer de meilleurs résultats en Coupe d’Europe ? Peut-être. Mais un championnat plus intéressant, à n’en pas douter.